LETTRE
Lettre du 9 aout 1968 d'Henri Miller à Louis Pauwels

Parfois il me semble que c'est un grand luxe de vivre uniquement pour l'être intérieur et l'inquiétude exclusive de ce qui ne va pas en moi-même. Comment pourrais-je exprimer exactement ce que je veux dire être du monde sans en être ne sonne pas très juste à mes oreilles. J'aime mieux : être dans le monde et du monde, mais détaché en même temps. Ou quelque chose de ce genre.
« Je n'ai jamais été capable de me rallier à des causes. Je vois trop que les maux que nous souhaitons déraciner en combattant pour une cause, sont dans nos propres personnalités. L'ennemi est beaucoup plus intérieur qu'extérieur. En d'autres termes, les "faiseurs de bien", les grands leaders, m'inquiétent beaucoup plus que les gens mauvais. Tant de ces types, qui veulent refaire le monde à leur image, sont indifférents à la condition de leurs plus proches voisins ! Chacun de nous, s'il désirait vraiment aider, pourrait consacrer tout simplement sa vie à prendre soin de ses proches
« Plus je vie, plus j'en viens à croire que la situation des affaires ne peut jamais être très différente de ce qu'elle est à n'importe quel moment. La façon dont chacun de nous se comporte jour après jour conditionne le monde dans lequel nous vivons. La situation des affaires est d'abord une réflexion sur ce que nous sommes dans notre corps, notre esprit, notre âme. Quand les conditions deviennent trop intolérables, nous nous révoltons. Mais nous ne devrions pas oublier que c'est nous qui faisons ces conditions, les uns par abus tyrannique du pouvoir, les autres par inertie. Nous pouvons modifier les conditions, mais nous ne pouvons changer le shéma fondamental des conflits et des lutttes.
« Si nous sommes "engagés", peu importe finalement de quel coté nous sommes. La vraie question, à mon sens, pour un individu, c'est de savoir s'il est totalement ou partiellement "engagé", c?est à dire s'il est englouti ou s'il lui reste quelque chose, dans l'action, qui lui appartienne en propre